Tournoi international Cadets 2023 – CANCÉ, le rugby et la mémoire d’un homme.

À Nay (64), les 27 et 28 mai dernier s’est déroulée la 42ème édition du tournoi international cadets de Rugby organisé comme chaque année par l’Union Sportive Coarraze Nay, l’USCN. En ces temps de ferveur autour du rugby, il nous semble comme une évidence de mettre en lumière ce qui se passe ici à Nay tous les ans depuis 1980, et découvrir ce qui en fait un événement sportif singulier à bien des égards.

 

Naissance d’une équipe de cadets rugby à Nay.

L’histoire du Tournoi débute en 1966. A l’époque, Christian Cancé a 15 ans et cherche à monter une équipe de rugby avec des copains. Le village d’à côté, Bénéjacq, possède déjà son équipe. Les jeunes nayais n’imaginent pas laisser cette situation sans réponse et Christian Cancé, motivé par ce sport qu’il pratique déjà au lycée, demande au président du club de Coarraze-Nay la possibilité de monter une équipe de cadets. « Il m’a répondu qu’il n’y voyait pas d’inconvénient à condition de trouver un adulte responsable de l’équipe. J’ai avancé le nom de mon père et je suis parti rapidement à son atelier le convaincre ». En 1961 Robert Cancé s’était lancé dans une activité artisanale de serrurerie qu’il avait installé dans sa maison qui jouxtait le stade. Au moment où son fils s’apprête à lui parler de rugby, l’activité de balcons, clôtures et portails en fer forgé est soutenue. « Je me souviens, quand je suis arrivé il était en train de forger. Je lui fais part de mon idée qui ne reçut pas le meilleur accueil. Alors je lui ai rappelé qu’il n’y avait pas d’équipe de foot et de rugby pour mon âge à Nay, et qu’en ce qui concerne le ski il trouvait ça trop cher ». Dans le souci de voir son fils occupé par le sport plutôt que de trainer les rues, Robert Cancé accepte de s’occuper de l’équipe des Cadets de l’USCN. Ce qui surprend encore aujourd’hui Christian Cancé, c’est le niveau d’engagement que son père va mettre en œuvre pour ces jeunes cadets du rugby.

La création du Tournoi.

Robert Cancé prend donc en charge les déplacements de l’équipe cadets et le recrutement qu’il n’hésite pas à réaliser dans les villages alentours. Mais l’année 1968 marque un tournant pour la famille Cancé. Au moment où l’activité se développe, avec un atelier désormais de 400 m2, Robert Cancé est atteint d’un cancer. Il prend la décision de se faire soigner à Villejuif. Il demande à son fils de maintenir l’activité. A 17 ans Christian prend les rênes de l’entreprise familiale. « Je me souviens qu’à ce moment-là Turboméca nous a beaucoup aidé en nous donnant du travail pour maintenir l’activité ». Entre avril et septembre 68, Christian et les cadets n’auront pas beaucoup d’échanges avec leur responsable. Mais l’intervention chirurgicale est concluante et Robert reprend le flambeau des cadets avec autant d’énergie. « Il était très heureux avec les cadets, pendant 11 ans il n’a pas arrêté de les accompagner pour les entrainements, les matchs, le recrutement et la partie administrative, cela a été très fondateur de l’esprit « Cadets » de Nay». Après le retour de son père en 68, Christian Cancé jouera quelques années au rugby, mais c’est surtout dans l’entreprise familiale qu’il va s’investir. En 1979, Robert Cancé alors responsable des cadets et vice-président de l’USCN est emporté par une rechute de son cancer. Il décède le 29 avril et précipite la famille, l’entreprise et les cadets dans une profonde tristesse. Il avait 51 ans. « L’idée du tournoi s’est matérialisée rapidement à la mort de mon père, tellement il s’était investi avec les jeunes, rappelle Christian Cancé. Je me suis appuyé sur l’expérience d’Orthez et le tournoi minimes qu’ils avaient créé 2 ans auparavant. Ils m’ont donné tous les papiers et j’ai convaincu non sans mal le président de l’USCN de l’époque, Michel Rougier. Je ne pouvais pas laisser l’énergie laissée par mon père sans suite ».

 

L’USCN, premier organisateur d’un Tournoi cadets.

Christian Cancé a donc beaucoup œuvré pour que le Tournoi soit organisé par l’USCN. Cela en a fait le premier club français à organiser un Tournoi international cadets. D’ailleurs le club est, dès son origine, une histoire de jeunes étudiants nayais qui constituent la première équipe en 1905. C’est en 1920 que le Stade nayais tout comme le FC Coarraze de la ville limitrophe deviennent des clubs structurés. Les nayais accèdent pour leur part à la 1ère division dans les années 30. En 1962 les deux entités s’unissent, et dans les années 70, c’est désormais l’Union sportive Coarraze Nay Rugby, l’USCN, qui obtient de très bons résultats en 2ème division et se maintient même durant 3 ans dans le groupe B de première. En ce qui concerne les cadets, le tournoi est organisé à partir de 1980 en même temps que le tournoi des minimes à Orthez. Les béarnais offrent ainsi sur le long week-end de Pâques une solution combinée qui s’est avérée très pratique pour les clubs contraints d’effectuer des longs déplacements. Dès les premières éditions on compte aussi parmi les équipes des anglais, italiens et belges qui n’hésitent pas à traverser la France pour rejoindre le tournoi. Aujourd’hui les deux tournois se déroulent durant le long week-end de la Pentecôte.

L’entreprise CANCÉ et le tournoi.

Les Cancé et le tournoi sont indissociables, créant un pont naturel entre le rugby et l’entreprise dirigée par Christian jusqu’en 2016. Mais les liens de coeur sont particulièrement resserrés avec le tournoi cadets, appelé Tournoi CANCÉ dans lequel Christian est toujours très actif, notamment pour maintenir vivante l’histoire. « Oui, depuis la première édition en 1980, tous les ans j’emmène les cadets du club devant la tombe de mon père la veille du tournoi. Je leur parle d’histoire, de leur histoire comme représentants du club et du combat à donner le lendemain la tête haute, non sans oublier le respect des règles et celui de l’adversaire à la fin du match ». Ce rituel est aussi l’occasion pour Michel Lagrave, un compagnon de la première heure, de teinter le discours d’avant-match du contexte de mémoire. « En effet Michel est extraordinaire dans l’exercice, il arrive à mobiliser et faire pleurer les gamins, et moi de leur rappeler que dans 50 ans il se souviendront de ce moment-là ».

Michel Lagrave a intégré l’équipe cadets en 1970 puis l’entreprise CANCÉ en 1972. « J’ai fait toute ma carrière dans l’entreprise. Je me souviens bien de la création du tournoi en 1980, j’étais alors demi de mêlée et capitaine de l’équipe première de l’USCN. Après, j’ai intégré l’organisation du Tournoi et je suis aussi devenu entraineur durant la période 1994-2003. Ensuite je suis revenu à l’organisation et j’y participe toujours ». Ils sont nombreux et de toutes les époques les salariés CANCÉ qui sont passés par le Tournoi. « J’en garde un souvenir ému. Je jouais à l’époque avec l’équipe d’Ambarès près de Bordeaux en tant que pilier droit, se rappelle David Pitoiset, aujourd’hui directeur de l’Agence CANCÉ de Bordeaux. Je ne me souviens pas du résultat que nous avions fait… C’était, il me semble en 1987, et la Section Paloise l’avait remportée… ».

Ce témoignage et bien d’autres sont compilés dans la gazette CANCÉ de juin, un journal interne donc la rédactrice est Michelle Pommiès, secrétaire à l’accueil du siège à Nay et du Comité Social de l’entreprise. « Je suis rentrée en 1989 chez CANCÉ. Après quelques temps je me suis impliquée dans le tournoi à différents niveaux, cela a duré plus de 15 ans rappelle-t-elle avec émotion. C’est Francis Esturonne qui m’a guidée et beaucoup appris. Il a été une pièce maîtresse dans la création et la pérennité du tournoi, à l’image de toute sa famille ». La liste est longue des joueurs ou bénévoles à la fois salariés de l’entreprise et dont les anecdotes rappellent l’ambiance et la convivialité du tournoi. « On avait dignement participé au bal des cadets la veille, raconte Vincent Dufau commercial à l’agence Agricole CANCÉ. Résultats : du jamais vu, 3 matches perdus le matin avec élimination directe. Derrière, grande remontée de bretelles par Michel Lagrave en personne : vous êtes la risée de l’USCN !!! Il me semble que les cadets de l’année suivante, n’avaient eu droit qu’à une petite sortie la veille. La leçon avait été retenue par l’USCN… », peut-on lire dans la gazette de juin.

 

Joueurs Pro passés par le Tournoi.

Autre sujet passionnant, les jeunes passés par le tournoi et qui par la suite dont devenus professionnels. Cela rend le tournoi très intéressant à suivre car c’est l’opportunité d’apprécier la jeunesse de futurs joueurs de haut niveau. L’USCN et la gazette CANCÉ ont parmi leurs références quelques figures comme Richard Dourthe et Raphaël Ibanez (avec US DAX), Teddy Thomas (Biarritz), Camille Lopez (SA Mauléon en 2005 et 2006), Selevasio Tolofua (Stade Toulousain), Damien Traille et Jean-Baptiste Peyras Loustalet (USCN) ou encore Lucas Rey, l’actuel talonneur de la Section paloise.

L’édition 2023 et le souvenir de 2015.

Le tournoi 2023 a eu la particularité de se dérouler sans la participation des cadets du club organisateur en raison de leur qualification pour les phases finales régionales. Pourtant, l’USCN reste avide de victoire, ce fameux graal que les locaux ont obtenu en 2015, la seule fois en 42 éditions. Pour revenir à l’édition 2023, elle n’en a pas été moins intense et fréquentée par le public et les accompagnants des 25 équipes de cadets et 6 de cadettes. Cette édition signe en effet la deuxième participation des filles au tournoi avec une nouvelle victoire des cadettes du Lons Section Paloise Rugby Féminin. Même club et couleur de maillot pour la victoire chez les garçons qui vient ajouter une neuvième étoile au long palmarès de la Section paloise dans le tournoi. Et dans le public, le tournoi est toujours l’occasion de se rappeler quelques bons souvenirs. « J’ai effectivement participé au tournoi, deux années de suite, lorsque j’étais au club de Pontacq, raconte Quentin actuellement apprenti au service QSE de CANCÉ. Cela devait être les éditions 2018 et 2019. D’après mes souvenirs, l’ambiance générale avec toutes les équipes françaises, comme étrangères était marquante. Ce tournoi est convivial, avec un bon esprit de partage et non de rivalité, comme il peut y avoir sur d’autres types de tournois de rugby… ».

La jeunesse et la mémoire d’un homme.

La convivialité certes, mais la quête d’une victoire reste l’objectif. « Le souvenir le plus marquant pour moi c’est la victoire de 2015, relate Christian Cancé avec émotion. À la fin je n’ai pas arrêté de pleurer et c’est à ce moment-là que m’est apparu mon père, souriant, je revois encore aujourd’hui son visage heureux, je l’ai revu à travers leur victoire, c’était très fort, merci les jeunes ! ».
Rendez-vous en 2024 pour la prochaine édition et vivre intensément ce sport qui nous aura peut-être offert entre temps un titre mondial. À Nay dans tous les cas, dans la ferveur et la simplicité, le Tournoi international cadets continuera de célébrer la jeunesse et la mémoire d’un homme.

 

Pour aller plus loin sur le sujet:

 

Le livret complet du tournoi 2023

 

crédits photos : Michelle Pommiès et le collectif du tournoi : Carole Pine-Canton – Stéphane Marchou – Thierry Gaby- Loïc Lanardoune – Marina Maurin